Pour gagner cette roche, il fallait faire deux lieues dans les bois ; autant pour revenir, cela faisait quatre. Brigitte n’avait peur ni de la fatigue ni de la nuit. Nous partions à onze heures du soir pour ne rentrer quelquefois qu’au matin. Quand il s’agissait de ces grandes courses, elle prenait une blouse bleue, et des habits d’homme, disant avec gaîté que son costume habituel n’était pas fait pour les broussailles. Elle marchait devant moi dans le sable, avec un pas déterminé et un mélange si charmant de délicatesse féminine et de témérité enfantine que je m’arrêtais pour la regarder à chaque instant. Il semblait, une fois lancée, qu’elle eût à accomplir une tâche difficile, mais sacrée ; elle allait devant comme un soldat, les bras ballants, et chantant à tue-tête ; tout d’un coup elle se retournait, venait à moi et m’embrassait. C’était pour aller ; au retour, elle s’appuyait sur mon bras : alors plus de chanson ; c’étaient des confidences, de tendres propos à voix basse, quoique nous fussions tous deux seuls à plus de deux lieues à la ronde. Je ne me souviens pas d’un seul mot, échangé durant le retour, qui ne fût pas d’amour ou d’amitié.
Un soir, nous avions pris, pour gagner la roche, un chemin de notre invention, c’est-à-dire que nous avions été à travers les bois sans suivre de chemin. Brigitte y allait de si bon cœur, et sa petite casquette de velours sur ses grands cheveux blonds lui donnait si bien l’air d’un gamin résolu, que j’oubliais qu’elle était femme lorsqu’il y avait quelque pas difficile à franchir. Plus d’une fois elle avait été obligée de me rappeler pour l’aider à grimper aux rochers, tandis que, sans songer à elle, je m’étais déjà élancé plus haut. Je ne puis dire l’effet que produisait alors, dans cette nuit claire et magnifique, au milieu des forêts, cette voix de femme à demi joyeuse et à demi plaintive, sortant de ce petit corps d’écolier accroché aux genêts et aux troncs d’arbres et ne pouvant plus avancer. Je la prenais dans mes bras. « Allons, madame, lui disais-je en riant, vous êtes un joli petit montagnard brave et alerte ; mais vous écorchez vos mains blanches, et malgré vos gros souliers ferrés, votre bâton et votre air martial, je vois qu’il faut vous emporter. »引自 第四部分第三章