Cimourdain s’avança avec le moins de bruit possible, vint tout près et se mit à regarder Gauvain ; une mère regardant son nourrisson dormir n’aurait pas un plus tendre et plus inexprimable regard. Ce regard était plus fort peut-être que Cimourdain ; Cimourdain appuya, comme font quelquefois les enfants, ses deux poings sur ses yeux, et demeura un moment immobile. Puis il s’agenouilla, souleva doucement la main de Gauvain et posa ses lèvres dessus.
Gauvain fit un mouvement. Il ouvrit les yeux, avec le vague étonnement du réveil en sursaut. La lanterne éclairait faiblement la cave. Il reconnut Cimourdain.
– Tiens, dit-il, c’est vous, mon maître.
Et il ajouta :
– Je rêvais que la mort me baisait la main.
Cimourdain eut cette secousse que nous donne parfois la brusque invasion d’un flot d... (查看原文)
– Ô mon maître, dans tout ce que vous venez de dire, où placez-vous le dévouement, le sacrifice, l’abnégation, l’entrelacement magnanime des bienveillances, l’amour ? Mettre tout en équilibre, c’est bien ; mettre tout en harmonie, c’est mieux. Au-dessus de la balance il y a la lyre. Votre république close, mesure et règle l’homme ; la mienne l’emporte en plein azur ; c’est la différence qu’il y a entre un théorème et un aigle.
– Tu te perds dans le nuage.
– Et vous dans le calcul.
– Il y a du rêve dans l’harmonie.
– Il y en a aussi dans l’algèbre.
– Je voudrais l’homme fait par Euclide.
– Et moi, dit Gauvain, je l’aimerais mieux fait par Homère.
Le sourire sévère de Cimourdain s’arrêta sur Gauvain comme pour tenir cette âme en arrêt.
– Poésie. Défie-toi des poëtes.
– Oui, je conna... (查看原文)
– C’est-à-dire que tu veux pour l’homme et pour la femme...
– L’égalité.
– L’égalité ! y songes-tu ? les deux êtres sont divers.
– J’ai dit l’égalité. Je n’ai pas dit l’identité.
Il y eut encore une pause, comme une sorte de trêve entre ces deux esprits échangeant des éclairs. Cimourdain la rompit.
– Et l’enfant ! à qui le donnes-tu ?
– D’abord au père qui l’engendre, puis à la mère qui l’enfante, puis au maître qui l’élève, puis à la cité qui le virilise, puis à la patrie qui est la mère suprême, puis à l’humanité qui est la grande aïeule.
– Tu ne parles pas de Dieu.
– Chacun de ces degrés, père, mère, maître, cité, patrie, humanité, est un des échelons de l’échelle qui monte à Dieu.
Cimourdain se taisait, Gauvain poursuivit :
– Quand on est au haut de l’échelle, on est arriv... (查看原文)
– Pas toujours. Si l’on rudoie l’utopie, on la tue. Rien n’est plus sans défense que l’œuf.
– Il faut pourtant saisir l’utopie, lui imposer le joug du réel, et l’encadrer dans le fait. L’idée abstraite doit se transformer en idée concrète ; ce qu’elle perd en beauté, elle le regagne en utilité ; elle est moindre, mais meilleure. Il faut que le droit entre dans la loi ; et, quand le droit s’est fait loi, il est absolu. C’est là ce que j’appelle le possible.
– Le possible est plus que cela. (查看原文)
– Ma pensée est : Toujours en avant. Si Dieu avait voulu que l’homme reculât, il lui aurait mis un œil derrière la tête. Regardons toujours du côté de l’aurore, de l’éclosion, de la naissance. Ce qui tombe encourage ce qui monte. Le craquement du vieil arbre est un appel à l’arbre nouveau. Chaque siècle fera son œuvre, aujourd’hui civique, demain humaine. Aujourd’hui la question du droit, demain la question du salaire. Salaire et droit, au fond c’est le même mot. L’homme ne vit pas pour n’être point payé ; Dieu en donnant la vie contracte une dette ; le droit, c’est le salaire inné ; le salaire, c’est le droit acquis. (查看原文)
Parce que c’est une tempête. Une tempête sait toujours ce qu’elle fait. Pour un chêne foudroyé, que de forêts assainies ! La civilisation avait une peste, ce grand vent l’en délivre. Il ne choisit pas assez peut-être. Peut-il faire autrement? Il est chargé d’un si rude balayage ! Devant l’horreur du miasme, je comprends la fureur du souffle.
Gauvain continua :
– D’ailleurs, que m’importe la tempête, si j’ai la boussole, et que me font les événements, si j’ai ma conscience !
Et il ajouta de cette voix basse qui est aussi la voix solennelle :
– Il y a quelqu’un qu’il faut toujours laisser faire.
– Qui ? demanda Cimourdain.
Gauvain leva le doigt au-dessus de sa tête. Cimourdain suivit du regard la direction de ce doigt levé, et, à travers la voûte du cachot, il lui sembla voir le ciel é... (查看原文)
Cette bâtisse difforme, c’était la guillotine.
En face, à quelques pas, dans le ravin, il y avait un autre monstre, la Tourgue. Un monstre de pierre faisant pendant au monstre de bois. Et, disons-le, quand l’homme a touché au bois et à la pierre, le bois et la pierre ne sont plus ni bois ni pierre, et prennent quelque chose de l’homme. Un édifice est un dogme, une machine est une idée.
La Tourgue était cette résultante fatale du passé qui s’appelait la Bastille à Paris, la Tour de Londres en Angleterre, le Spielberg en Allemagne, l’Escurial en Espagne, le Kremlin à Moscou, le château Saint-Ange à Rome.
Dans la Tourgue étaient condensés quinze cents ans, le moyen âge, le vasselage, la glèbe, la féodalité ; dans la guillotine une année, 93 ; et ces douze mois faisaient contre-poids à ces... (查看原文)
La pierre semble quelquefois avoir des yeux étranges. Une statue observe, une tour guette, une façade d’édifice contemple. La Tourgue avait l’air d’examiner la guillotine.
Elle avait l’air de s’interroger. Qu’était-ce que cela ?
Il semblait que cela était sorti de terre. Et cela en était sorti en effet.
Dans la terre fatale avait germé l’arbre sinistre. De cette terre, arrosée de tant de sueurs, de tant de larmes, de tant de sang, de cette terre où avaient été creusées tant de fosses, tant de tombes, tant de cavernes, tant d’embûches, de cette terre où avaient pourri toutes les espèces de morts faits par toutes les espèces de tyrannies, de cette terre superposée à tant d’abîmes, et où avaient été enfouis tant de forfaits, semences affreuses, de cette terre profonde, était sortie, au j... (查看原文)
La nature est impitoyable ; elle ne consent pas à retirer ses fleurs, ses musiques, ses parfums et ses rayons devant l’abomination humaine ; elle accable l’homme du contraste de la beauté divine avec la laideur sociale ; elle ne lui fait grâce ni d’une aile de papillon ni d’un chant d’oiseau ; il faut qu’en plein meurtre, en pleine vengeance, en pleine barbarie, il subisse le regard des choses sacrées ; il ne peut se soustraire à l’immense reproche de la douceur universelle et à l’implacable sérénité de l’azur. Il faut que la difformité des lois humaines se montre toute nue au milieu de l’éblouissement éternel. L’homme brise et broie, l’homme stérilise, l’homme tue ; l’été reste l’été, le lys reste le lys, l’astre reste l’astre.
Ce matin-là, jamais le ciel frais du jour levant n’avait été... (查看原文)
一七九二年至一八〇〇年的布列塔尼森林有其独特的历史,它与传奇般的旺代的宏大历史合为一体。
L'histoire des forêts bretonnes, de 1792 à 1800 pourrait être faite à part, et elle se mêlerait de la vaste aventure de la Vendée comme une légende.
历史有其真理,传奇也有其真理。传奇真理不同于历史真理。传奇真理是以现实作为结果的臆造。然而,历史和传奇都有同一个目的:描绘过眼烟云的人背后的永恒的人。
L'histoire a sa vérité, la légende a la sienne. La vérité légendaire est d'une autre nature que la vérité historique. La vérité légendaire, c'est l'invention ayant pour résultat la réalité. Du reste, l'histoire et la légende ont le même but, peindre sous l'homme momentané l'homme éternel.
只有用传奇来补充历史才能完整地解释旺代。用历史说明全局,用传奇说明细节。
La Vendée ne peut être complètement expliquée que si la légende complète l'histoire; il faut l'histoire pour l'ensemble et la légende pour le détail.
旺代当之无愧。旺代是奇迹。
Disons que la Vendée en vau... (查看原文)